vendredi 1 août 2014

Petr Král et la lassitude des jeunes chapeaux










Prague







Il y avait le jaune frisson du papillon englouti par la boue
de la devanture
il y avait un mégot écrasé  au bord de la piste
et un ticket de métro usagé perdu parmi les étoiles
il  y avait le monde ouvert et vide comme un grand salon
de coiffeur
au milieu du dimanche
il y avait ceux qui partaient pour le Texas
et ceux qui en revenaient toujours pas très partisans de la 
nuit tombante

                                                                          P. K.
                                   Routes du Paradis, P. Bordas et fils, 1981





       Etrange comme il m’est difficile d’évoquer la personne de Petr autrement que sur le mode de l’intime et du souvenir. Petr m’envoyant à l’extrême nord du Cameroun où je me trouvais alors, dans les premières années 70, une carte postale qui représentait un groupe de gens, sans doute plus ou moins étrangers les uns aux autres. Il y fallait une attention seconde pour découvrir que l’expéditeur avait tracé au crayon un fil réunissant les pieds de ces anonymes dont on ne savait rien de ce qui avait pu les amener à se côtoyer sur cette carte, bien sûr en noir et blanc. L’écart se creusa subitement en moi avec force,  j’étais en train de découvrir une civilisation tout à fait autre, et Petr me remettait face au monde blanc, que je venais de quitter, par la magie de ce signe énigmatique. Ce n’est que quelques années plus tard que nous ferions physiquement connaissance, à Paris, rue Daguerre.
Poète, Petr l’était avec un naturel extraordinaire. Beau, comme il se doit, séduisant par sa voix, aérien par sa manière d’arpenter la fugacité de la vie, je le revois (d)écrivant avec ses mains le vol d’un quelconque papier sur un pont de New York d’où il revenait, respirant l’air de Paris comme il n’avait jamais oublié de respirer celui de Prague. Poète de la langue bien sûr, qu’elle soit française ou tchèque, poète du regard, du quotidien, de la métamorphose du banal, poète de l’air de la rue, de la métaphysique autour d’une table, voire d’un repas et de ses vins. Poète de certains cinémas, de certains livres qui n’étaient pas des romans, de certaines villes qui savaient toujours demeurer incertaines. De quoi vivait-il ? J’avoue n’avoir guère eu l’envie de m’interroger là-dessus, lui qui vivait si bien là où d’autres, avec beaucoup plus d’argent, vivent si mal. La vie était en lui, avec ses aléas, ses fuites, ses repères, ses doutes, sa joie, son désir de faire autre chose avec les mots de la poésie, son désir d’inventer un autre lyrisme.



Christian Bouillé, 1982
Dessin accompagnant METAL DE LA SAISON
Poème de Petr Král
hors la collection I de l'O
achevé d'imprimer le 15 janvier 1982



  








      A la fin de ces mêmes années 70,  j’avais mis au point la petite Collection Inactualité de l’Orage, où je voulais faire entendre quelques voix peu connues qui m’étaient chères, dont celle d’Alain  Roussel, puis celle de Petr Král. C’est ainsi que j’ai eu le plaisir de publier le premier mince recueil de poèmes en français de Petr, & Cie, c’était en mars 79.


Je parle de cette époque à l’imparfait parce que nous étions quelques-uns à être en recherche de nous-mêmes, venant bien après les feux du surréalisme, ayant mêlé nos désirs de plus ou moins près à la révolte de mai 68, qui laissait encore des traces parfois vives. Un peu plus âgé, venant de Prague, Petr était beaucoup plus circonspect à l’égard de tous lendemains qui prétendent chanter. La poésie, la sienne, il la tirait vers une dérive urbaine qui n’avait rien de « situationniste », qui devait tout à un regard privé sur le réel, à une sensibilité exotique intérieure qu’un poète d’origine « hexagonale » eût été bien incapable d’exprimer.



© La Quinzaine littéraire, 16/31 juillet 1981 






       Par la suite, l’écriture poétique de Petr n’a cessé de creuser le sillon si particulier qui est le sien, donnant parfois un sentiment d’étrangeté presque absolue que je ne connais à personne d’autre.

C’est à Petr que je dois la rencontre du peintre Christian Bouillé dont la vision du sens de la peinture allait être déterminante pour le « regard » de la fin du vingtième siècle.
S’il devait y avoir un équivalent plastique de la poésie de Petr, c’est chez Christian qu’il faudrait aller le chercher. Je ne crois pas qu’il s’agisse de moyens plastiques nouveaux, mais bien plutôt d’une acuité tout à fait singulière de la perception qui rendrait compte, sans le dire explicitement, de changements à l’intérieur de notre monde, devenu irréductible à lui-même, voire à ses propres valeurs. L’image, dans la poésie de Petr Král, est ainsi affectée d’une valeur inhabituelle, à la manière d’un signe qui serait moins ascendant qu’ouvrant des portes sur un imaginaire inattendu où le mot n’est pas forcément établi dans la fixité du sens. Quelque chose manque, à dessein bien sûr, pour qu’on puisse s’établir en toute quiétude dans le réel.




Christian Bouillé, couverture pour
Témoin des crépuscules de Petr Král
© 1989, Éditions Champ Vallon









Et tiens sur le marché à présent
on t’enveloppe et avec un ruban écolo on te vend à
toi-même
Si tu rentres mal dans ton moi
on t’aide avec un chausse-pied
(Les cartons dans l’entrepôt nocturne s’ouvraient
comme des tombeaux)

                                                     P. K.
                                              Hors l’épopée





À lire aux éditions des Vanneaux, 2014
dans la collection Présence de la poésie
Petr KRÁL
Présentation et choix de textes par Pascal Commère







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