jeudi 16 juin 2016

L'écriture comme signe






L’écriture comme signe
ou

le pinceau pris au pied de la lettre





Christian Dotremont - Chanter jusqu'au cri, Crier jusqu'au chant, 1972





Lorsque l’écriture se prend elle-même comme objet, écriture-œuvre, écriture jaillie de sa propre invention, écriture apparemment hors du sens, en quête d’éblouissement du signe, écriture désagrégée, recousue autrement, livrée à l’invasion de la page, se livrant délivrée, cahier illisible, s’échappant dans les trous, par les fuites du sens, écriture-poursuite, course vers l’origine, voulant écrire le monde en distance courte, écriture saisissant le soleil et la lune, dessinant sa propre figure, idéogramme de combat pour arrêter le temps, l’abolir et le prolonger, gravé dans la roche, langage naissant, hésitant et dur, effritant la nature devenue support, témoin d’une autre histoire qui ne fait que commencer, balbutiement des pierres, joie de la trace allumant un feu dans l’esprit, divagation de la ligne vers un sens à venir, relier mystérieusement l’hier à l’avenir, au présent perdu dans l’espace, toujours inquiétant, lier l’hier pour tracer le chemin, pour indiquer à l’autre son passage, pour inventer le nomadisme, défier l’empreinte des pas sur le sable, pour chanter le silence des impressions et des mots, lorsque l’indéchiffrable n’est plus qu’un coup de dés, lorsque le jeu se suffit à lui-même, lorsque le signe produit plusieurs lectures, écriture jouée, déjouée, surjouée, ajoutant de l’ombre à l’ombre, palimpseste de figures inconnues, écriture ne faisant plus signe qu’à elle-même, prise à sa propre toile comme l’araignée en son matin d’argent, comme l’étoile en sa feuille noire, écriture heureuse mais peut-être blessée, écriture déchirant silencieusement le ciel, flèche cherchant sa cible, comme un cri sans écho jeté au fond d’un puits.








© Josée Van Lierop - Scribes, 2015










Peinture noire des mots, rêvant du paysage des mots, geste tracé plus vite que le sens, mots pris dans la couleur du geste, mots du bout de la main, peinture raccordée à l’esprit, à la vision, à la sensation, débordant le réel, réalisant ses bords débordés, automatisme physique pur cherchant, errant, sur la feuille ou au-delà, tombée d’or dans le trou de la nidification, initiant le grand texte-monde, le commençant n’importe où, le prenant en marche sans début ni fin, parole visible et imprononçable, bégaiement du blanc papier, déjouant toute science, toute généralité, toute torture de l’expression, nativité du regard, coup de mot dans le visage de l’autre, coup de pinceau dans le lobe temporal du cerveau, une évidence saisie par personne, avant la phrase, nuage traversant le ciel en solitaire, ponctuation devenue texte, histoire dans le silence des runes, lorsque le signe ne fait plus signe, ou cygne, agonie des codes, ignition des codifications, lorsque le signe fuit dans le paysage, écriture niée comme message, écriture sauvage d’avant l’écrit, d’avant le cri, porte ouverte dans le corridor des sables, mots à la poursuite d’eux-mêmes, jamais rattrapés, doublés par le mystère de l’expression, ours contemplant le hiéroglyphe des bipèdes à cheveux longs, griffant le sol pour mourir là, traçant sa présence avérée, peindre un geste pour ne pas être mort, pour s’assurer du silence qui vient.






© Patrice Pion - Métamorphismes, 2014




                                                                                               Pierre Vandrepote