lundi 30 juin 2014

Karom Thomasson, l'amant du monde





Femme de blé 

Homme de maïs

Cosmosapiens










© Karom Thomasson — COSMOSAPIENS — 1998


Trilogie végétale      Karom Thomasson

Joanne Theate      Les mots de la terre

Le livre a été publié en 1998
par l'association 
Atelier le ciel sur la terre



La planète Terre
Était une, éclatée
En cinq continents,
Elle veut par l'esprit
De Cosmosapiens
Retrouver  son unité.
Karom







Cosmosapiens Karom Thomasson
© Photographie Alain Devise, 2000





L'or vert brille de l'éclat du diamant,
Ruisselle sur un corps de femme,
Humide du désir de naître.
Joanne Theate









© Le ciel sur la terre, 2000





Rêve Terre rêve Océan rêve Désert rêve Espace rêve Feu rêve

Vent rêve chevelure du vent rêve course folle de la terre
rêve femme
océan rêve ouverture du désert rêve coulée d'espace
rêve filière du feu Rêve
Rêve à l'intérieur du rêve
Pierre Vandrepote







Un chemin de rêve — sculpture végétale — Karom Thomasson
Festival de Montignac, juillet 2000





L'ami
Avant de mourir, l'homme lui avait envoyé un ultime message qui disait simplement ceci : "Oui la vie est jour et nuit. Ton ami K." Lorsqu'à son retour le destinataire trouva la lettre, envoyée de Dakar, l'expéditeur avait été emporté depuis trois semaines environ. C'était donc la mort même qui lui parlait aujourd'hui, qui lui livrait son grand secret et disant quoi, peut-être que la vie est double, ou qu'elle est infinie, ou que la mort n'existe pas.

                                                                                      in L'Amour en moins et autres nouvelles
                                                                                      éditions Apogée, 2014.




Écoutez-le. Écoutez le son de votre propre vie, ici, ce soir sous les étoiles. 


Pierre Vandrepote



samedi 28 juin 2014

Lorsque l'homme de Lascaux





Note sur le sens originel de l’art
extrait—







     
Lorsque l’homme de Lascaux tend sa main, le bout de ses doigts enduits de pigments colorés vers la paroi de la grotte, quel geste accomplit-il exactement, à hauteur d’homme pourrait-on dire, c’est-à-dire vers l’inconnu de sa propre main, de son rêve, de sa pensée, des formes et des forces qui le fascinent, le font vivre, le projettent vers un demain toujours incertain ? Rien ne peut faire que la peinture, ce soit d’abord une trace, un signe, un fléchage du sensible, un contact avec la matière, avec la matière-esprit, avec la terre-gouffre, avec l’autre, ami ou ennemi. Qui peut dire si cette main s’émerveille, ou qu’elle a peur soudain de ses propres pouvoirs, qu’elle invente le premier geste libre qui ne soit pas uniquement obsédé de survie? 
  

  Ce désir de volupté mentale et physique mêlé aux terreurs sublimes ou misérables, il n’est pas un peintre qui, à un titre ou un autre, pourrait affirmer qu’il ne les a pas croisés sur le chemin de son oeuvre. La trace peut s’effacer, mais aussi bien rester derrière soi; voici que le geste est indistinctement aventure, dessin, écriture, histoire, séparation qui relie, acte naturel et  magique. C’est ainsi, et peut-être surtout ainsi, que l’homo sapiens sapiens se découvre une nature singulière qui fait de lui à la fois un être-du-monde et un être au bord du temps, au bord du monde.
   

Se pose-t-il, notre ancêtre contemplant incrédule sa main, la question de la représentation abstraite ou concrète du geste qui lui a permis de tracer ce premier signe mental coloré sur la roche souterraine ? On ne saurait imaginer plus extraordinaire “naissance de l’art” comme a dit Bataille, la rêvant davantage en poète qu’en homme de science de la préhistoire. Car, dès le départ, tout y est, indissolublement lié, entremêlé, la peinture, le dessin, les signes aujourd’hui encore à peine interprétables, le réalisme magique, l’incantation, l’exposition secrète, le jeu, la chasse, la peur, le chant, la vue, la traversée des apparences, voire les tabous de la représentation humaine et de l’identité. Bataille insiste sur ce point capital qui est alors mis en jeu, il s’agit d’un “commencement”, donc d’une invention, d’une initiation, en tout cas —symboliquement ou non, ici, à Lascaux— de la création de quelque chose qui n’existait pas auparavant. Pas de tradition à quoi se référer, de l’innovation pure: “Inévitablement, l’art en naissant sollicitait ce mouvement de spontanéité insoumise qu’il est convenu de nommer le génie” écrit Georges Bataille. A ce moment précis, le modèle extérieur et le modèle intérieur coïncident parfaitement puisqu’ils n’ont jamais eu à être dissociés, tout s’enchevêtre, y compris les mises en espace elles-mêmes, donnant naissance à de fascinantes superpositions qu’on ne peut exclure des processus mentaux, voire esthétiques, mis en oeuvre par quelques hommes tout spécialement doués pour habiter leur propre monde, le même sans doute que celui de leurs semblables, admiratifs. Cet art unique, nullement naïf ou platement réaliste, puise évidemment sa source dans la nature, mais dans une nature “naturée” par l’homme, qui ne se sent pas profondément distinct de son environnement ni supérieur à l’animal qu’il chasse ou aux êtres hybrides dont il a peut-être eu la vision qui n’est pas moins réelle qu’une autre.



Premier Taureau — Lascaux

   



     Plus qu’à des arts premiers, nous sommes ici confrontés à ce qui fut l’essence première de l’art, à la création du vertige qu’il suppose. Représenter, c’est dédoubler, mais certainement pas recopier par le biais d’une simple redondance; dédoubler, c’est affirmer un désir ou une volonté d’action sur le monde, agir sur lui pour s’en faire un allié, si possible se le rendre favorable, et en même temps rendre un hommage à son inquiétante beauté. Représenter ces taureaux, ces vaches, ces cerfs, ces chevaux, cavalcades, sarabandes, dans des grottes, mais aussi dans des boyaux étroits, cela voulait dire quoi pour ces premiers peintres de l’inaccessible ? Voulaient-ils orner ou cacher, montrer et cacher, peindre et garder le secret, se protéger eux-mêmes de crainte que la nature ne se venge qu’ils lui dérobent sa terrible puissance ? Autant de questions qui sont peut-être déjà des réponses, les unes comme les autres invérifiables.



                                                                            Pierre Vandrepote

vendredi 27 juin 2014

Poème sur toile


                                      Dans la grotte du temps





Dans la grotte du temps 
Il n’y a que du ciel qui tombe


©Patrick Cottencin (collection particulière)

Le monde s’ouvre comme une pensée large infinie
D’abord on ne reconnaît rien
Sinon les mouchoirs de l’adieu
On dirait que le vide se happe lui-même
Laissant place aux tourbillons des naissances 
Ce sont des galaxies d’enfances
Des fleuves verts dans le cours du ciel
Le sang de la vie avant le sang avant la vie
Chaque homme est cette virgule
Chaque femme la fraise inconnue de l’amour
Dans la grotte du temps
Il n’y a plus qu’un étroit passage
Pour les étoiles à naître
Pour la continuation du rêve par tous les moyens
Dans les sans fin de l’histoire
Dans les rencontres jamais imaginées
Et qui pour cette raison même se produiront

Ce qui est donné
Est suspendu au-dessus de son propre devenir
Les plumes seront oiseaux
Ou poètes cherchant leurs ailes
Dans les sentiers de campagne
Sur les boulevards les yeux fermés
Dans l’espace sidéré des apparitions rayonnantes

La toile du peintre est cette image
De ce qui existe et que nous ne voyons pas
L’antre sublime de la vie
Plus loin que le souvenir 
Plus proche qu’une mémoire inventée
La fête dangereuse et belle est ici
N’oubliez pas le rêve que nous avons fait
N’oubliez pas d’accomplir les miracles
Ils sont votre seule raison d’aimer les jours infinis

Dans la grotte du temps
Les ombres sont la chair vive de ce qui toujours renaît


                                                                   12 juin 2014


                                                                                                            Pierre Vandrepote

jeudi 26 juin 2014

Patrick Cottencin, un peintre au-delà de l'image.



Patrick Cottencin

Peintre





© Patrick Cottencin       




La peinture est faite pour ouvrir le regard. Le visible nous renseigne sur ce que nous ne voyons pas.



Rien n’est prémédité dans la peinture de Patrick Cottencin. Ce qui éclate sur la toile ne pouvait pas ne pas être. Ce qui fait la force et la justesse de son geste de peintre, c’est son objective spontanéité.

Patrick n’est pas un peintre figuratif. Il n’est pas un peintre abstrait. C’est un peintre du motif intérieur, ce qui ne l’empêche pas d’être un peintre d’aujourd’hui, même si son actualité à lui résiste de façon tout à fait surprenante au temps.




Patrick Cottencin,
un peintre au-delà de l’image



Il serait bon d’en finir avec cette approche qui consiste à ramener le tableau d’un peintre à la dimension de ce qu’on appelle, par réduction à l’esprit  d’analyse sociologique, une image. Il me semble que la peinture de Patrick Cottencin se prête à ce nettoyage de la pensée dans la mesure où ses toiles se regardent et sont vues dans l’axe d’une profondeur qui n’est pas si fréquente.

 
Habitués que nous sommes désormais à réduire la direction de notre regard d’une manière linéaire et superficielle, comme s’il ne s’agissait plus que de feuilleter le réel quotidien à la manière d’un gigantesque magazine de mode où toutes les images sont interchangeables, nous en sommes venus à l’idée que l’art se consomme à la même vitesse que le reste, au nom de la sacro-sainte “civilisation de l’image” que nous sommes  incapables d’interroger, de remettre en question.

Si on ajoute à cela que l’analyse universitaire a souvent prétendu soumettre l’art à une sorte de sémiologie généralisée, on constatera assez vite que le tour de passe-passe a abouti à un nivellement critique, faisant du tableau du peintre une réalité épuisable au même titre que n’importe quel concept rationnel. Une prétendue “abolition de l’art” n’a pas manqué de semer l’ultime zizanie, guérissant la maladie par la radicale suppression du malade! Or, c’est tout l’inverse qui est vrai, n’en déplaise à un certain nombre de spécialistes de “l’art contemporain” rendus aveugles par l’imagerie banalisante d’une société post-moderne qui ne sait plus après quoi elle court. L’inventivité spécifique à la peinture n’obéit pas du tout aux lois qui régissent les compositions d’images journalistiques ou photographiques. Ce n’est pas d’une question de valeur qu’il s’agit, mais d’un moyen autre, et d’une autre nature.

Sans le vouloir, Patrick Cottencin peint d’emblée des toiles qui n’ont aucun compte à rendre à une image préexistante. Nous sommes ici dans l’oeuvre, dans la création, dans le mouvement de la pensée et de la perception, dans l’espace premier du geste, dans l’intuition pure. 





© Patrick Cottencin









Il ne s’agit ni de peinture abstraite ni de reproduction, il s’agit de donner, aussi intact que possible, son propre sentiment du monde. Voici u n peintre qui n’est en rien “naturaliste”, et pourtant toute la force de la nature est dans sa peinture. Voici un peintre qui ne copie aucun modèle, de quelque ordre que ce soit, et qui pourtant peint le bonheur ou la rage d’exister, interroge le sens même de l’être, le sien et, par la même occasion, le nôtre. La peinture de Patrick n’est porteuse d’aucun message, sinon celui de sa propre sensibilité. On ne demande pas d’autre engagement à un peintre que celui d’élargir le sens de la beauté, ce qui est infiniment plus difficile qu’on veut bien croire.

Pour qu’un tableau puisse toucher celui qui le regarde, il faut que ce tableau  soit la manifestation d’un état singulier de l’être, qu’il nous apprenne quelque chose sur nous-même, sur les mystérieux rouages du réel. Il faut aussi, et même surtout, que le monde intérieur de l’artiste soit unique, que l’architecture de sa pensée picturale soit capable de dialoguer en direct avec les désirs informulés de chacun. En ce sens, on pourrait alors dire que le tableau est une image intérieure, objectivée et susceptible d’appartenir à tous.
Au début, ce qui m’a le plus surpris dans les toiles de Patrick Cottencin, c’est la géométrie simple à partir de laquelle il se plaît à ordonner les schémas d’une création par ailleurs exubérante, généreuse, aux formats imposants. Carrés, cercles, octogones pourraient sembler, dans un premier temps, isoler chaque tableau dans une forme préconçue, alors que chacun d’eux constitue une fresque qui ne demande qu’à se déployer à l’infini. Du même coup, l’unité secrète des toiles surprend d’autant que l’effet visuel est scandé selon des rythmes peu habituels. Tout se passe comme si chaque tableau contenait en latence tous les autres, comme si leur jaillissement était perpétuel, comme si l’un était germe de l’autre, naissance—explosion de la matière.

La peinture de Patrick est en effet le plus souvent faite de ces jaillissements de formes obéissant à une organisation sans doute inconsciente, mais porteuse d’un ordre qui ressemble étrangement à celui de la nature, à celui des invisibles cosmogonies qui nous régissent sans même que nous ayons la possibilité de nous en rendre compte. Ces jaillissements éblouis par leur propre innocence sont comme autant de structures de sens en devenir. Cette force, c’est justement leur beauté, leur justification d’être, sans autre nécessité.





© Patrick Cottencin (collection particulière)








A l’image, si on veut, de la mystérieuse puissance de la nature dont le sens des fins dernières nous échappe en un ultime prodige.
                                                                                        Texte de Pierre Vandrepote