lundi 27 octobre 2014

Danielle Filâtre, dessins pour des poèmes de Pierre Vandrepote















Je ne me réveille pas
Je ne sors pas de mon rêve





                                                                Poèmes pour la présence
                                                                                                  et pour L

L’incroyance




Croirait-on que c’est encore la vie

                                          là toute la vie

Qui semble s’inscrire comme un ciel

                                  presque contre le ciel

Croirait-on que c’est l’amour presque tout l’amour

Que chacun oublie au détour des jardins

                                                mal suspendus

   si pleins de brume

Croirait-on que les mots alliés au silence

                                   au dessin inventé des ailes

Puissent faire résonner le rire clair 

      comme une première fois
                                     
                               l’enfance du regard




Croirait-on que les amants ont de la clef du bonheur

La forme de la vague loin retirée

L’incertitude leur échappe le temps du baiser

                                        ta bouche fond sous la neige

Croirait-on qu’il s’agisse de sauver la vie

    chaque seconde
                                       
Outrageant poème du malheur

Je voudrais être sûr du gisement de tes yeux

                                         sous l’arcade du rosier

Je voudrais être sûr de ne plus rien te dire

                    qui pût changer

                             saison ni déraison


© Danielle Filâtre, dessin, 2014


Accalmie





On dirait que la rumeur du monde soudain s’est tue

C’est à nouveau l’hiver sans visage

La fête réfugiée sous la terre

Le temps se pare d’une farandole d’arbres oubliés

On dirait que toute la nature a déserté

Il n’y a que l’homme à mal percevoir sa propre 
 
clameur 

Frère pourtant du sang versé

Du bonheur promis promesse mal désirée

Et moi je tente de t’écouter caché dans la musique 
     des vitres
Mal à l’aise dans cette solitude ouverte
Tu ne dors pas je ne dors pas
Tu ne réponds pas je me tais
L’hiver n’abolit pas l’audace des pierres


© Danielle Filâtre, dessin, 2014


La quête encore    



S’endormant souriant pensant à la nuit
Pensant au jour

Pensant au toujours

S’endormant souriant pensant à l’amour

Ombre heureuse sur les lèvres ombre pour personne

Est-ce pour le regard des étoiles seulement

Crépitement comme des traces d’un feu

Longue phrase perdue jamais écrite

Est-ce le sourire imperceptible de la nuit même ?








Voici que le temps de la révolte

Se rend au non-temps du rêve jamais oublié

La conscience ne se dissipe pas








Le lourd bois des poutres paraît serpenter vers le ciel

Je crois bien que j’entame une autre vie

L’autre vie d’un autre âge

Où je me demande à moi-même

De faire un pas encore vers le bonheur inaccessible
© Danielle Filâtre, dessin, 2014




Journal sans nouvelles






On croit que jamais on ne cessera de s’interroger sur   
  les      
dessous
De la mystérieuse machinerie du monde 

Et puis un jour on regarde aveuglément le ciel
L’oiseau qui le barre est un oeil de folie

Le vent souffle en dehors de tout
Dans le sens contraire des aiguilles du temps

La terre paraît si petite que les nuages y demeurent      
       accrochés

On se dit qu’il faudrait bouleverser l’ordre de la pensée
L’ordre du sentir la proximité des êtres et des choses
On se dit que les fleurs d’arbres naissent et meurent
  avec le printemps
Que tout bouge sans cesse dans une parfaite immobilité 


Qui est cet homme que je ne connais pas
Qu’on appelle par son nom sans sourciller
Comme si le visiteur du soir avait déposé sa carte illisible

Sans doute l’ai-je croisé dans la courte histoire d’une vie        

On m’a dit qu’il me ressemblait comme un arbre
Ou la flèche qui y est fichée cible atteinte

Je ne veux plus savoir la suite des jours sans suite

La ligne qu’on trace avec le nuage noir des mots
Abolit la douleur des grands oiseaux sans ciel


Nul ne le sait
Pourtant l’ombre croît

Et les ronces










© Danielle Filâtre, dessin, 2014 












Sous la peau






Enveloppé dans ma propre peau

Je ne suis plus qu’un étranger 
Que personne ne reconnaît

Pas de racines

Qu’ai-je à voir avec le paysage
Avec l’arbre qui défie la pesanteur
Avec la terre sans mémoire

Déjà je préfigure ce qui demain ne sera plus

Pourtant on continue de rôder sous le ciel
Comme si le monde allait durer 
Une éternelle seconde encore
Le temps bien caché au fond des poches
On sort dans la fin d’après midi
Pour vérifier la rivière
Ou bien l’état des rêves
Parfois aussi on oublie de rentrer









© Danielle Filâtre, dessin, 2014










Entre deux saisons






Non la nuit n’est pas verticale 

Et c’est le jour que nous traversons tels des
       somnambules

Je suis né comme chacun avant le temps



Chaque matin était matin d’enfance

Je traversais les ponts enjambant des rêves informulés                 

Depuis il y a eu les villes aux contours imprécis

Tant de rencontres oubliées perdues

Même si l’herbe est toujours verte sous les pas

Un jour de brume se lève sur la plaine

Des gouttes d’eau se forment aux épines


Je déambule soudain dans la mémoire

Des petits matins frais du boulevard du Montparnasse

L’heure des comptoirs et du café

Je regarde sans bien comprendre ce que c’est qu’une vie  



C’est le temps qui hésite à passer

Puis se décide à traverser la rue

Aucune tristesse au coin des yeux

Souvent quelque chose en nous avance

Sans que nous puissions vraiment y prendre part

Cela n’a pas de nom

C’est comme un rayon de soleil

Qui ne perce pas la brume









© Danielle Filâtre, dessin, 2014










Novembre






Le poème à écrire chaque jour 

Je ne m’y suis jamais habitué

Sans doute y a-t-il chaque jour toutes les raisons

De se taire 

En regardant le ciel s’obscurcir

Le monde en nous s’égare un instant

Naïf celui qui croit pouvoir l’arrêter le saisir



Le jeune rouge-gorge se pose à l’ombre de ses mots à lui
Tout près sur la branche
J’éprouve à nouveau cette sensation de terre gelée
Je ne connais personne encore des êtres qui enchanteront
Celui que je cherche à être

Le poème est comme une lointaine rumeur

Il rêve de l’exactitude de la pensée
Alliée à une introuvable réalité
Si seulement ma vie était aussi précise
Que le rêve chaque nuit renouvelé 
Oublié chaque matin











© Danielle Filâtre, dessin, 2014












Un absolu






Mon amour

Quelle douceur

De vivre ensemble

Au sein d’un même rêve

Quelle douceur

Au déclin du jour

Je n’ai pas les mots pour te dire ce qui s’éloigne

Je suis entré dans l’immuable du temps

Les âmes les amis les amours tournoient comme 
autant de Présences


Quand tu n’es pas là je te sens partout 

Le ciel est si clair dans ta voix matinale

Nous sommes seuls au monde avec tous les autres

La vie s’échappe par tous les bords 



Tu ne dis rien

Et moi je jouis qu’en cet instant précis



Tout soit enfin tu






                                                                        Pierre Vandrepote














vendredi 24 octobre 2014

Christian Bouillé en noir et blanc








Que représentes-tu, Christian ?












Le regard mental de Christian Bouillé






Tiré à part de la revue CANAL, avril 1986






Scintillement de la trace invisible





"à suivre" (détail), Christian Bouillé, 1983






Expérience du trajet







revue Canal, 1986








Remontée vers les sources






revue Canal, 1986








Présence du présent






revue Canal, 1986









On aperçoit l'homme de dos
Il est probablement sur le point de 
disparaître





"à suivre", acrylique sur toile, Christian Bouillé, 1983








Happé par quel vide








revue Canal, 1986









À la périphérie de sa pensée









revue Canal, 1986









À la périphérie de ses espaces 
extérieurs








Gouache pour Lumière frisante
P. Bordas & fils, éditeurs, 1983





















Gouache de Christian Bouillé pour Lumière frisante







                                                                   




                                                                         (à suivre...), en effet.

                                                                                                             P. V.


mercredi 8 octobre 2014

Jean-Marc Meloux, la construction du réel photographique










© Jean-Marc Meloux, Départementale 8












Les road-photos 
de Jean-Marc Meloux



  

     Toute route porte en soi un désert, chacun y devient le nomade de sa propre vie, image parfaitement réfléchie de ce qu’est l’existence de chacun d’entre nous. Et c’est bien cela que nous dit la route, parce que c’est toujours elle qui nous traverse, qui nous emmène vers l’inconnu, la rencontre, le rendez-vous manqué, l’histoire qui advient ou qui aurait pu advenir. Bandes blanches centrales entrecoupées de silences, ligne de vie ininterrompue croisant des signalétiques dont le sens même, dans son dépouillement, crée un indéfinissable vertige au lieu de nous rassurer.
      

     Par ses objets vaguement menaçants de jadis, par ses peintures froidement arachnéennes, par ses photos de routes où viennent éclore à l’intérieur du paysage d’autres petites photovisions, Jean-Marc Meloux ne cesse de tisser et de tendre les fils mystérieux, entrelacés, de sa propre vision. Au bout de la route, ce bout qui bien sûr n’existe ni pour lui ni pour personne, je crois bien que c’est là qu’il s’attend, pour un dernier rendez-vous avec ce qui n’a pas de fin.
   

     Moi, je suis toujours prêt à faire un bout de chemin avec les êtres qui conservent par derrière eux l’idée, à l’inverse de tant d’artistes arrivistes actuels, que l’important est de partir sur les routes de sa propre aventure.
   

     
© Jean-Marc Meloux, Voies multiples, Collection particulière






Pour Jean-Marc, ce fut tantôt avec des morceaux de bois, des pointes acérées, de la vie cherchée dans les rues de Paris, des bouts de pellicules, aujourd’hui avec la photo numérique, peu importe le medium utilisé, ce qui compte c’est le voyage, l’inaccessible point de fuite.


                                                   


↔︎⬇︎↔︎







© Jean-Marc Meloux, Mannequins. L'ombre d'un regard.






Des regards masqués dans la ville



Les yeux bandés dans le labyrinthe graphique
l’homme cherche la pose de sa jeunesse abrupte
Il s’est cru dissimulé par ses rêves
dans la zone figée des banlieues aveugles
(la nuit dévoile ses corps bleus ou noirs)



© Jean-Marc Meloux, Duo.

Dans le duo des solitudes doubles
c’est l’heure des vitrines claires à peine réelles
c’est l’heure des coupe-circuits nocturnes
de celui qui ne dort pas




Quadrillages et flèches n’indiquent que le vertige
d’un sens devenu introuvable
aimanté par un ailleurs des images
Aux mannequins de Chirico font désormais écho
des photographies suspendues 
aux virtualités du regard






© Jean-Marc Meloux, Le passage à l'acte





➚ ⬍ ➘





       Jean-Marc Meloux est, pour moi, un ami de près de cinquante ans, autant dire de toute une vie. Nous nous sommes rencontrés  deux ans avant mai 68, à l'époque de la revue Phases, un peu mieux connue maintenant par les lecteurs de ce blog.
     
     Il a bien sûr une formation de peintre, mais a toujours été tenté par l'expérimentation de différents médias, a travaillé au théâtre, a pratiqué le cinéma expérimental, exploré la photographie, la peinture sur ordinateur. Si je voulais m'amuser - et lui avec moi -, je dirais qu'il est le plus introverti des extravertis que j'ai pu connaître. Ami ouvert et généreux, toujours prêt à découvrir ce qu'il ne connaît pas, mais aussi refermé sur son propre secret comme s'il lui manquait la clef de cette étrange serrure qu'il n'ouvrira pas. Et je crois que notre point commun le plus fort est bien de cet ordre. Fasciné par la vie, par le désir de la vie, par la vie des villes et de ses ailleurs, par la femme et le sexe, mais aussi par l'angoisse d'être, par les métamorphoses du réel ou par les jeux qu'autorise sa représentation la plus immédiate. Il a été un des premiers à affirmer sa sensibilité positive à l'égard du pop art dans une époque où celui-ci passait, à tort, pour un pur produit américain. D'ailleurs, sa mise en pages photographique, encore aujourd'hui, se souvient de l'écriture visuelle d'un Klasen, même si quelque chose de plus (l'angoisse intérieure peut-être) pousse la construction photographique de Jean-Marc Meloux  vers un cri, en fait, de nature expressionniste.

     



© Jean-Marc Meloux, Rail-road Wadi Rum






    Ce que j'ai toujours apprécié chez lui, c'est qu'il a beaucoup cherché, avec des moyens divers certes, mais sans jamais se renier au nom d'une quelconque réussite. C'est un photographe très peintre si l'on veut, il y a incontestablement chez lui une volonté perfectionniste d'aller au bout d'une œuvre, d'une recherche, d'une idée. Cela se sent. Cela se partage. Même si les balises n'indiquent pas forcément le droit chemin que certains peuvent croire.


                                                                                                        Pierre Vandrepote