vendredi 24 février 2017

Oniric Mecanic — La peinture de Roger Frézin (1927-2012)






Roger Frézin - C'est beau l'aube - 1965

Roger Frézin - Le pare-feu - 1965







Roger Frézin - Champmajour - 1966









Roger Frézin - Oniric Mecanic - 1967








Dehors il y a les voitures qui klaxonnent, les embouteillages, la ville fendue de toutes parts, un chat traverse la rue, hautain, il sait où il va, saute par dessus la petite barrière de bois, des enfants courent le long du trottoir

et puis il y a la peinture de Roger Frézin, grouillante de pensées contradictoires, immobile sur le mur

Peut-être que la nuit commence à tomber, les lumières clignotent comme si elles hésitaient puis, finalement, se décident pour la fixité, des piétons sortent des immeubles décidés à entrer dans leurs souvenirs, dans leurs projets du soir, comme s’ils changeaient de direction, quelques-uns poussent la porte du bar de la grand-place, on entend l’indistinct brouhaha surgissant de l’intérieur

il y a la peinture de Roger Frézin qui, dans le secret de ses images joyeuses, tient tête à la rue, complice et pourtant étrangère

Dehors on entend des rires, des cris, des éclats de voix, une femme chante, apostrophe les passants sans guère se soucier de leurs réactions, un couple passe bras dessus bras dessous, ils sourient à la lumière, la femme est radieuse, l’homme paraît pressé, peut-être est-il en train d’imaginer le prochain plan du film qu’il tourne dans sa tête depuis si longtemps, on dirait que la ville est tout entière condensée dans leurs yeux

il y a la peinture de Roger Frézin qui se fraie un chemin vers le bonheur comme si le désordre apparent n’était que le masque d’un ordre supérieur

Des portières claquent, des moteurs continuent de tourner ou se taisent subitement, on dirait que la pluie menace au milieu des premières étoiles, c’est la ville qui mugit, animal indompté des désirs de chacun, des romances perdues, des rendez-vous manqués, pendant que les cafés sont pleins maintenant, un jeune homme écrit solitaire sur un coin de table, il attend une phrase qui devrait venir, qu’il ne connaît pas, que peut-être il croisera sans la reconnaître, il se dit que la ville est un poème dont il n’est pas si simple de trouver la porte d’entrée, il se dit que la ville est un poème sans clé

il y a la peinture de Roger Frézin qui fait surgir la mer là où personne ne la voit, là où un escalier donne directement sur le ciel.




                                                                                                                     février 2017
                                                                                                               Pierre Vandrepote






Roger Frézin - Autoportrait du monde - 1967
Collection particulière





Roger Frézin - La fée électricité - 1968 - Tryptique










Note


J’ai connu Roger Frézin en 1966. C’est sur sa peinture que j’ai écrit mon premier texte consacré à un peintre, Oniric Mecanic, qui lui avait tellement plu qu’il avait voulu le reprendre pour titre d’un de ses tableaux. Grâce à lui, j’ai aimé Lille, ville où, étudiant, je m’ennuyais un peu. Puis ce fut Paris, où j’ai vécu près de trente ans. Nous n’avons guère eu l’occasion de nous revoir. Roger et une poignée d’amis restent pour moi liés à cette belle jeunesse que nous fit alors mai 68. Jamais vent de liberté mentale et sentimentale ne souffla aussi fort dans nos nerfs, dans notre espoir en la vie. Le tempérament artiste de l’ami Frézin était merveilleusement communicatif. J’ai appris ensuite qu’il avait peint une fresque pour la salle des mariages de la mairie de Lille. Un peu plus de vingt ans plus tôt, il avait été un de mes deux témoins de cette même cérémonie en mairie de Béthune. C’était le dernier jour de l’année. Il fut très ponctuel, il n’avait qu’un petit quart d’heure de retard !

                                                                                                                                    P. V.







                    Roger Frézin en 1992