lundi 8 février 2016

Michel Thamin, sculpteur des secrets de la pierre








Michel Thamin - Lithoglyphe (détail)








Pensant aux sculptures de granit que j’ai découvertes récemment chez Michel Thamin, aux pierres levées de la matière de Bretagne, je ne cessais de me dire qu’à l’homme, décidément sur cette terre, rien n’est étranger, sauf bien souvent lui-même à ses semblables. Toute la nature est en dialogue avec elle-même, tout parle, même et surtout quand nous nous taisons, quand le langage humain réussit à s’étendre et à s’ouvrir jusqu'à ce qu’il croit être le silence. Je me sentis soudain interpellé par cette belle phrase de Breton où il nous demande s’il est besoin « de rappeler que le langage fut tout entier percée de l’inconnu, trouée dans l’azur. » On ne peut mieux cerner le mystère qui entoure la voix de l’homme pour la relier aux chuchotements de la terre. Comment ne pas voir que c’est nous qui sommes sculptés par la terre, par l’eau, le feu, le vent, par les étoiles qui nous font briller dans la nuit ? Il me semble que Michel Thamin, lorsqu’il entaille la pierre, n’oublie jamais que c’est d’elle qu’il attend une révélation sur lui-même, qu’il la sollicite non pour en faire une pierre tombale, mais un signe de vie jaillissant de l’outre-monde. Pierre levée, pierre pénétrée, mais réservant à l’infini son propre secret, pierre jetée au ciel, pierre hurlant doucement à la lune; nous parlons le plus souvent de l’âge de pierre sans bien nous rendre compte que c’est encore et toujours le nôtre.




































                                                                    
Pierres levées - Michel Thamin












Michel ouvre la pierre pour en faire battre le cœur, pour lui donner le fuselage qu’elle n’aurait jamais pu rêver elle-même, il donne forme à l’informe, conjugue le temps, déplie l’espace, il fait jouer le pêne de l’imaginaire dans la serrure du réel, le plus souvent d’ailleurs en ayant pris soin de refermer la porte derrière lui, comme si de rien n’était. Ses sculptures sont autant d’effractions au grand jour, elles trouent l’azur en effet, elles indiquent un chemin inventé, elles sont indices énigmatiques pour le voyageur sans voyage, signes dans la grande traversée du temps.
L’attitude du sculpteur est toute en ambiguïté. Il lui faut attaquer la pierre sans avoir le sentiment de la faire souffrir, la scier et la polir, la percer à jour sans déflorer la nuit qui la constitue, presque l’amener de sous la terre à sa tension vers une nouvelle vie, contraindre une part de sa nature tout en respectant ses lignes de faille, lisser parfois sa rugosité, faisant flèche de son cœur obscur. Mélange de complicité avec son objet pour le faire servir à ses propres fins. Arracher de l’imprévisible au silence d’un bloc de granit. Dans son esprit, le granit reste masse; par nature, rien ne le tire vers un quelconque expressionnisme, sinon celui d’une rudesse profonde de la terre. Et je crois que cette difficulté supplémentaire a fasciné le sculpteur. C’est peut-être le plus beau dans l’intervention de Michel Thamin : aux antipodes de la démonstration facile, on dirait que la sculpture s’efface avec une discrétion ultrasensible — presque tellurique pourtant — pour ne troubler qu’à peine l’ordre du monde. Le sculpteur est hanté par un sentiment qui n’appartient qu’à lui : il cache tout autant qu’il montre. Il ne s’agit pas de modestie, je crois qu’il s’agit d’un immense respect pour la terre qui a enfanté l’homme et le granit, l’eau et le feu, le désir de créer en même temps que le désir d’aimer. 











Michel Thamin - caillou sculpté









       Une démarche de Michel me paraît tout à fait symptomatique de son rapport sensible au monde. Je l’imagine dérivant sur les grèves bretonnes, cueillant de façon élective un caillou parmi tant d’autres comme un fruit tombé du sol d’on ne sait quel paradis à tout jamais délaissé. Le voilà l’objet de la quête, celui qui ne nous aurait peut-être pas arrêté, celui qui visite le regard du sculpteur. Pas plus que la minéralogie le monde de l’art ne craint l’opaque, la gangue de silence qui enveloppe la « langue des pierres ». Michel ouvre le caillou, comme on pourrait aller voir dans le dos de soi-même, y introduit un signe hiéroglyphique arraché à une kabbale plastique toute personnelle,  réunit à nouveau ce qu’il a séparé, raccommode les deux moitiés du caillou au besoin avec de la ficelle, puis restitue pour finir à la grève ce qu’il n’a jamais voulu lui dérober. « Ramasser - restituer » dit-il. J’ajouterai « resituer », situer à nouveau dans un espace inédit où la pierre parle, où l’homme est parlé par la pierre dans un jeu sans fin.



                                                                         Pierre Vandrepote