lundi 21 décembre 2020

Alain Joubert, entre les lignes le cœur

 



                          Alain Joubert, au cinéma du noir et blanc

                                                "Poèmes, etc."



Alain Joubert photographié par Nicole Espagnol
en couverture de Pièces à conviction n°9, Arles






Enfance d’un poète qui ne s’est jamais pris pour un grand « pohète », à l’inverse de tant d’autres :


« Non, ce qui m’amusait, ce qui séduisait mes oreilles aux aguets, c’était le bruit des mots, la sonorité des syllabes, le choc des dentales, le sifflement des sifflantes, le rythme des phrases, la violence ou la douceur avec laquelle on les prononçait… »


L’enfant a grandi, enfin il a su aussi rester enfant, mais comme on dit, il a grandi. Il a aimé, il a gardé sa révolte, il a gardé son « noir », son désespoir et son espoir, ses espoirs, ses bonheurs, sa colère, la face inconnue de ses nuages :


« et l’homme-oiseau ne fit

            ni une

            ni deux

il fit tout simplement

le tour de lui-même

le tour du noir qui l’habitait

de sa mémoire noire

et à coups de bec et de pieds

il fit voler le spectre

            en éclats

et toutes les couleurs

se répandirent en lui

et hors de lui

et l’aurore se sentit soudain

            boréale »


L’oiseau donc vint à naître non sans vivacité. Prêt à rêver le monde, mais comme il n’était guère; amant de la beauté, mais ulcéré par l’injustice; amoureux de vivre et pourtant se méfiant de ce dont sont capables les humains, nos chers semblables. Il paraît qu’il faut apprendre, par exemple la patience :


« Rentrer en soi pour sortir à pas de loup. »


Difficile de se débarrasser du noir, d’autant que parfois il sied si bien. J’ai connu Alain Joubert tout de noir vêtu. Sa blondeur. La liberté des contradictions. On n’y insistera jamais assez. Le temps, la mort du temps; et si cela s’appelait l’instant ? Le jeune surréaliste qu’il est n’aime pas mettre sa poésie en avant, mais son désir d’un autre « être ensemble » est là, qui toujours affleure :


« L’élan des amis qui dansent 

Fait battre la paupière de l’amour

Crispe le sang

Et ruine les glaciers ardents »





Alain Joubert - L'autre côté des nuages
Dessins de Georges-Henri Morin
Ab irato Éditeur




Et l’amour ? Cette si grande étrangeté. Et le désir du désir, l’amour du désir, le désir de l’amour. Une ? Toutes ? L’amour, le désir, ou la dialectique scabreuse. L’homme n’en a jamais connue d’autre, aussi violemment contradictoire. De celles qui ne se surmontent pas à l’amiable. Seule peut-être la poésie, dans sa merveilleuse et facile irresponsabilité. Au-delà des circonstances particulières :


« il faut une grande habitude des fleurs

pour ménager

ainsi qu’une lueur au fond des yeux

nuage incandescent

des sens

l’énergie des espaces fougueux

qui comptent sur leurs doigts

et meurent 

sans que jamais on sache pourquoi »


Et l’humour ? Pour chasser les mauvais nuages, pour tenir à distance les haines, pour retourner contre elles-mêmes les méchancetés variables, pour sauver les immenses contrées de la bonté du cher Apollinaire.

L’humour, la dernière balle perdue, pas pour tout le monde :


« Puis, il mourut discrètement, un matin gris d’hiver, sans y penser, comme il avait vécu.

   C’est alors seulement que les vrais ennuis commencèrent… »


Il y a aussi « quelques fonds de terroir » qu’on n’aimerait pas seulement abandonner au tiroir :


« Si l’on n’est que poussière, alors Dieu n’est qu’un aspirateur »






in Le surréalisme, même n°5
Printemps 1959






S’il me fallait trouver une conclusion toute provisoire à cette immersion dans la poésie vitale de l’ami Joubert, c’est à un fin sourire mi-moqueur mi-fraternel que je convierais le lecteur d’aujourd’hui à ce qui s’écrit dans la complicité, dans une inquiète connivence. À ce lecteur de lui-même choisir :


« La poésie ouvre toutes les portes

Ascenseur pour le dernier étage

Là où l’air et la terre

Cessent d’être perçus contradictoirement

Face au soleil de l’éternité. »




— Alain Joubert, L’autre côté des nuages, Poèmes, etc.

Avec des Dessins de Georges-Henri Morin

Ab irato éditions, 2020.




                                                                           Pierre Vandrepote

samedi 12 décembre 2020

Geneviève C, des " présences d'esprit.s" dans les doigts












La main qui porte le premier coup de pinceau

sa main porte la première vérité

sa main est totale liberté

même préexistante

il n’y a aucune liberté

comme il n’y a aucune chance dans le hasard

le hasard rencontre la liberté

comme le pinceau le papier













Quelquefois c’est l’ombre qui aveugle

quelquefois un bruit

ce bruit que fait le silence

la main est porteuse d’ombre

plus ou moins appuyée

maîtrisée saisie

sans savoir la main dessine sa propre ombre

Il y a un geste de lumière à transmettre

un geste qui nie la solitude

sans désapprouver la lecture indolente du chat

la main retient le jeu des arabesques qu’elle contient

l’esprit brise l’espace

les dessins ne sont que des dragons qui s’ignorent

puisque toute connaissance

est bâtie sur du non-savoir

et recrée à perte de vue la très sage ignorance













Parfois des personnages apparaissent

puisqu’on le sait nous ne sommes pas seuls

les tigres sont aussi des hommes de papier

c’est une femme qui les conduit 

mais sans les tenir ni en laisse

ni sur le chemin de la bonne conduite

elle organise de sérénissimes cérémonies

auxquelles les voyageurs inattendus 

sont invités sur papier invisible













Alors 

sa main

la main prend la forme d’un gant oublié sur le comptoir de la vie

C’est à qui perd gagne

à qui continue de battre les cartes

On dirait des signes griffés hors du temps

pour des dieux qui n’ont jamais été ou disparus














Encres de Geneviève C

Texte de Pierre Vandrepote