Alain Joubert, au cinéma du noir et blanc
"Poèmes, etc."
Alain Joubert photographié par Nicole Espagnol en couverture de Pièces à conviction n°9, Arles |
Enfance d’un poète qui ne s’est jamais pris pour un grand « pohète », à l’inverse de tant d’autres :
« Non, ce qui m’amusait, ce qui séduisait mes oreilles aux aguets, c’était le bruit des mots, la sonorité des syllabes, le choc des dentales, le sifflement des sifflantes, le rythme des phrases, la violence ou la douceur avec laquelle on les prononçait… »
L’enfant a grandi, enfin il a su aussi rester enfant, mais comme on dit, il a grandi. Il a aimé, il a gardé sa révolte, il a gardé son « noir », son désespoir et son espoir, ses espoirs, ses bonheurs, sa colère, la face inconnue de ses nuages :
« et l’homme-oiseau ne fit
ni une
ni deux
il fit tout simplement
le tour de lui-même
le tour du noir qui l’habitait
de sa mémoire noire
et à coups de bec et de pieds
il fit voler le spectre
en éclats
et toutes les couleurs
se répandirent en lui
et hors de lui
et l’aurore se sentit soudain
boréale »
L’oiseau donc vint à naître non sans vivacité. Prêt à rêver le monde, mais comme il n’était guère; amant de la beauté, mais ulcéré par l’injustice; amoureux de vivre et pourtant se méfiant de ce dont sont capables les humains, nos chers semblables. Il paraît qu’il faut apprendre, par exemple la patience :
« Rentrer en soi pour sortir à pas de loup. »
Difficile de se débarrasser du noir, d’autant que parfois il sied si bien. J’ai connu Alain Joubert tout de noir vêtu. Sa blondeur. La liberté des contradictions. On n’y insistera jamais assez. Le temps, la mort du temps; et si cela s’appelait l’instant ? Le jeune surréaliste qu’il est n’aime pas mettre sa poésie en avant, mais son désir d’un autre « être ensemble » est là, qui toujours affleure :
« L’élan des amis qui dansent
Fait battre la paupière de l’amour
Crispe le sang
Et ruine les glaciers ardents »
Alain Joubert - L'autre côté des nuages Dessins de Georges-Henri Morin Ab irato Éditeur |
Et l’amour ? Cette si grande étrangeté. Et le désir du désir, l’amour du désir, le désir de l’amour. Une ? Toutes ? L’amour, le désir, ou la dialectique scabreuse. L’homme n’en a jamais connue d’autre, aussi violemment contradictoire. De celles qui ne se surmontent pas à l’amiable. Seule peut-être la poésie, dans sa merveilleuse et facile irresponsabilité. Au-delà des circonstances particulières :
« il faut une grande habitude des fleurs
pour ménager
ainsi qu’une lueur au fond des yeux
nuage incandescent
des sens
l’énergie des espaces fougueux
qui comptent sur leurs doigts
et meurent
sans que jamais on sache pourquoi »
Et l’humour ? Pour chasser les mauvais nuages, pour tenir à distance les haines, pour retourner contre elles-mêmes les méchancetés variables, pour sauver les immenses contrées de la bonté du cher Apollinaire.
L’humour, la dernière balle perdue, pas pour tout le monde :
« Puis, il mourut discrètement, un matin gris d’hiver, sans y penser, comme il avait vécu.
C’est alors seulement que les vrais ennuis commencèrent… »
Il y a aussi « quelques fonds de terroir » qu’on n’aimerait pas seulement abandonner au tiroir :
« Si l’on n’est que poussière, alors Dieu n’est qu’un aspirateur »
in Le surréalisme, même n°5 Printemps 1959 |
S’il me fallait trouver une conclusion toute provisoire à cette immersion dans la poésie vitale de l’ami Joubert, c’est à un fin sourire mi-moqueur mi-fraternel que je convierais le lecteur d’aujourd’hui à ce qui s’écrit dans la complicité, dans une inquiète connivence. À ce lecteur de lui-même choisir :
« La poésie ouvre toutes les portes
Ascenseur pour le dernier étage
Là où l’air et la terre
Cessent d’être perçus contradictoirement
Face au soleil de l’éternité. »
— Alain Joubert, L’autre côté des nuages, Poèmes, etc.
Avec des Dessins de Georges-Henri Morin
Ab irato éditions, 2020.
Pierre Vandrepote
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