Je ne me réveille pas
Je ne sors pas de mon rêve
Poèmes pour la présence
et pour L
L’incroyance
Croirait-on que c’est encore la vie
là toute la vie
Qui semble s’inscrire comme un ciel
presque contre le ciel
Croirait-on que c’est l’amour presque tout l’amour
Que chacun oublie au détour des jardins
mal suspendus
si pleins de brume
Croirait-on que les mots alliés au silence
au dessin inventé des ailes
Puissent faire résonner le rire clair
comme une première fois
l’enfance du regard
Croirait-on que les amants ont de la clef du bonheur
La forme de la vague loin retirée
L’incertitude leur échappe le temps du baiser
ta bouche fond sous la neige
Croirait-on qu’il s’agisse de sauver la vie
chaque seconde
Outrageant poème du malheur
Je voudrais être sûr du gisement de tes yeux
sous l’arcade du rosier
Je voudrais être sûr de ne plus rien te dire
qui pût changer
saison ni déraison
© Danielle Filâtre, dessin, 2014 |
Accalmie
On dirait que la rumeur du monde soudain s’est tue
C’est à nouveau l’hiver sans visage
La fête réfugiée sous la terre
Le temps se pare d’une farandole d’arbres oubliés
On dirait que toute la nature a déserté
Il n’y a que l’homme à mal percevoir sa propre
clameur
Frère pourtant du sang versé
Du bonheur promis promesse mal désirée
Et moi je tente de t’écouter caché dans la musique
des vitres
Mal à l’aise dans cette solitude ouverte
Tu ne dors pas je ne dors pas
Tu ne réponds pas je me tais
L’hiver n’abolit pas l’audace des pierres
© Danielle Filâtre, dessin, 2014 |
La quête encore
S’endormant souriant pensant à la nuit
Pensant au jour
Pensant au toujours
S’endormant souriant pensant à l’amour
Ombre heureuse sur les lèvres ombre pour personne
Est-ce pour le regard des étoiles seulement
Crépitement comme des traces d’un feu
Longue phrase perdue jamais écrite
Est-ce le sourire imperceptible de la nuit même ?
Voici que le temps de la révolte
Se rend au non-temps du rêve jamais oublié
La conscience ne se dissipe pas
Le lourd bois des poutres paraît serpenter vers le ciel
Je crois bien que j’entame une autre vie
L’autre vie d’un autre âge
Où je me demande à moi-même
De faire un pas encore vers le bonheur inaccessible
© Danielle Filâtre, dessin, 2014 |
Journal sans nouvelles
On croit que jamais on ne cessera de s’interroger sur
les
dessous
De la mystérieuse machinerie du monde
Et puis un jour on regarde aveuglément le ciel
L’oiseau qui le barre est un oeil de folie
Le vent souffle en dehors de tout
Dans le sens contraire des aiguilles du temps
La terre paraît si petite que les nuages y demeurent
accrochés
On se dit qu’il faudrait bouleverser l’ordre de la pensée
L’ordre du sentir la proximité des êtres et des choses
On se dit que les fleurs d’arbres naissent et meurent
avec le printemps
Que tout bouge sans cesse dans une parfaite immobilité
Qui est cet homme que je ne connais pas
Qu’on appelle par son nom sans sourciller
Comme si le visiteur du soir avait déposé sa carte illisible
Sans doute l’ai-je croisé dans la courte histoire d’une vie
On m’a dit qu’il me ressemblait comme un arbre
Ou la flèche qui y est fichée cible atteinte
Je ne veux plus savoir la suite des jours sans suite
La ligne qu’on trace avec le nuage noir des mots
Abolit la douleur des grands oiseaux sans ciel
Nul ne le sait
Pourtant l’ombre croît
Et les ronces
© Danielle Filâtre, dessin, 2014 |
Sous la peau
Enveloppé dans ma propre peau
Je ne suis plus qu’un étranger
Que personne ne reconnaît
Pas de racines
Qu’ai-je à voir avec le paysage
Avec l’arbre qui défie la pesanteur
Avec la terre sans mémoire
Déjà je préfigure ce qui demain ne sera plus
Pourtant on continue de rôder sous le ciel
Comme si le monde allait durer
Une éternelle seconde encore
Le temps bien caché au fond des poches
On sort dans la fin d’après midi
Pour vérifier la rivière
Ou bien l’état des rêves
Parfois aussi on oublie de rentrer
© Danielle Filâtre, dessin, 2014 |
Entre deux saisons
Non la nuit n’est pas verticale
Et c’est le jour que nous traversons tels des
somnambules
Je suis né comme chacun avant le temps
Chaque matin était matin d’enfance
Je traversais les ponts enjambant des rêves informulés
Depuis il y a eu les villes aux contours imprécis
Tant de rencontres oubliées perdues
Même si l’herbe est toujours verte sous les pas
Un jour de brume se lève sur la plaine
Des gouttes d’eau se forment aux épines
Je déambule soudain dans la mémoire
Des petits matins frais du boulevard du Montparnasse
L’heure des comptoirs et du café
Je regarde sans bien comprendre ce que c’est qu’une vie
C’est le temps qui hésite à passer
Puis se décide à traverser la rue
Aucune tristesse au coin des yeux
Souvent quelque chose en nous avance
Sans que nous puissions vraiment y prendre part
Cela n’a pas de nom
C’est comme un rayon de soleil
Qui ne perce pas la brume
© Danielle Filâtre, dessin, 2014 |
Novembre
Le poème à écrire chaque jour
Je ne m’y suis jamais habitué
Sans doute y a-t-il chaque jour toutes les raisons
De se taire
En regardant le ciel s’obscurcir
Le monde en nous s’égare un instant
Naïf celui qui croit pouvoir l’arrêter le saisir
Le jeune rouge-gorge se pose à l’ombre de ses mots à lui
Tout près sur la branche
J’éprouve à nouveau cette sensation de terre gelée
Je ne connais personne encore des êtres qui enchanteront
Celui que je cherche à être
Le poème est comme une lointaine rumeur
Il rêve de l’exactitude de la pensée
Alliée à une introuvable réalité
Si seulement ma vie était aussi précise
Que le rêve chaque nuit renouvelé
Oublié chaque matin
© Danielle Filâtre, dessin, 2014 |
Un absolu
Mon amour
Quelle douceur
De vivre ensemble
Au sein d’un même rêve
Quelle douceur
Au déclin du jour
Je n’ai pas les mots pour te dire ce qui s’éloigne
Je suis entré dans l’immuable du temps
Les âmes les amis les amours tournoient comme
autant de Présences
Quand tu n’es pas là je te sens partout
Le ciel est si clair dans ta voix matinale
Nous sommes seuls au monde avec tous les autres
La vie s’échappe par tous les bords
Tu ne dis rien
Et moi je jouis qu’en cet instant précis
Tout soit enfin tu
Pierre Vandrepote
Le silence comme écho véritable de la vie désirante. Les mots du poète pour faire entendre silence :
RépondreSupprimerl'étreinte du désir, sans nom véritable, au temps.