dimanche 13 juillet 2014

L'Amour noir de Staël






Le temps est passé sur la vie de l’homme comme il passe sans cesse sur l’histoire de la peinture. Je veux juste dire ici une note, ou quelques accords comme on pourrait dire en musique, où je m’entends si mal. Ce qui m’a touché, voire bouleversé, c’est la rencontre de Nicolas de Staël avec René Char, la rencontre de la peinture impossible avec celle de la poésie souveraine.



Nicolas de Staël : portrait de René Char
Papier collé, 1953 ©Adagp 2010






Deux excès, deux folies mesurées au génie, deux courages à la mesure peu commune, la langue haut tenue, la peinture vaincue dans chaque tableau, presque.


Staël est effectivement un « prince », mais déchu. C’est sa photo qu’on retient. Char est ce marteau discret, mais sans maître. C’est sa voix venue de nulle part qu’on retient.


Jamais peintre ne fut plus humble — avec l’insolence qui sied aux chercheurs de beauté— que celui qui écrit à son ami poète : « …si cela m’arrive de traiter tel ou tel peintre de nullité, je me demande toujours si je n’en suis pas une au même titre.
Et si l’on pense un peu plus à cela on finit par être tout à fait persuadé de l’efficacité d’autrui sur soi-même pour aiguiser une inquiétude engourdie, ou raffermir la confiance, ou je ne sais quoi. »




Le Mur, Composition, 1951
© Adagp





On peut appeler cela comme on veut, ce défi qu’on porte à l’absolu comme un absolu. La peinture est chez Staël le désir d’explorer la totalité du champ de la peinture, c’est considérer l’acte de peindre comme un mur imprenable. Peu l’ont vu, c’est une philosophie sentimentale et tendre. Comme l’amour, qui probablement le perdra, ce qui n’est qu’une façon de dire.

Et c’est dire aussi qu’il y a quelque chose qui ne saurait être cerné par les mots, qui résiste, dans la peinture, à sa réduction à une esthétique. C’est que le Beau n’a pas de visage défini, qu’il n’est jamais épuisé, même si certaines époques sont moins douées que d’autres.


Nicolas de Staël n’est jamais sorti peut-être du sombre-noir. Il a exploré les couleurs comme on traverse la vie. Au cœur de sa lumière, il y a toujours un prodige de la colère, une faim sans fin.
Staël veut peindre le tableau qui ne peut pas exister, le seul qui entraîne le terrible saut : celui-ci a les yeux d’une femme, le vol figé d’un visage inaccessible.

                                                   
                                                            Pierre Vandrepote
                                                                                

                                                                                          


1 commentaire:

  1. G. a dit "Ce noir ardent du 16 mars, ce noir fumant à la même date au pied de Montségur, 1244. Il y a des couleurs comme ça, elles font tourner des clés dans l'âme et claquent alors des portes sur l'impossible.
    Comme l'amour quelquefois."

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