Dans l’anthologie de La Poésie Surréaliste par Jean-Louis Bédouin que publient les éditions Seghers en 1964, le nom d’un très jeune poète que personne ne connaît. La brève présentation qui en est faite est celle-ci :
JEAN-CLAUDE BARBÉ. — Né à Auch (Gers) en 1944.
N’a pas attendu plus de seize années pour découvrir, dit-il,
« la poésie, avec Edgar Poe, les Symbolistes, et surtout Lautréamont
et les surréalistes ». Outre des poèmes, écrit des pièces de théâtre
qu’il qualifie lui-même d’injouables. A publié dans La Brèche et
prépare un recueil : Myriam Praline.
George Frederic Watts - L'Espérance (détail), 1886
Jean-Claude Barbé est entré en correspondance avec Breton dès 1960, un poème de lui, Couple, a déjà été publié dans le douzième et dernier numéro de BIEF jonction surréaliste daté de cette même année (15 avril 1960).
Il se trouve que Barbé habite alors Boulogne-sur-mer, que nous nous sommes connus et rencontrés en 1963, qu’il me fait connaître le surréalisme et la poésie, comment dire autrement que de l’intérieur, sentiment qui m’est toujours demeuré par la suite, quelles que furent mes diverses rencontres, et il y en eut de très significatives pour moi. Jean-Claude est mon aîné de deux ans, il partira bientôt en Algérie. Nous aurons échangé quelques lettres, puis plus rien. Spécialiste de la disparition absolue. La seule chose que je sais (qu’en moi je sens), c’est qu’il écrit toujours. Des poèmes certainement. Des pièces de théâtre, peut-être. Lorsque nous nous fréquentons, il a dix-neuf ans. Dandy fou de poésie et de ses amoureuses cristallines, il est un inconscient Prince de la Poésie, élu par la magie de son seul regard. Il appartient au réel social autant qu’un papillon appartient à la terre. Il a la poésie au bout des doigts, une désarmante richesse d’écriture et d’imagination qui semble ne jamais devoir tarir.
Je veux dire que, pour lui, la poésie n’est pas un genre (ni littéraire, ni autre), elle est une langue, la seule qu’il ait vraiment envie de parler pour s’exprimer sans contrainte intérieure. Un beau jour de 1991, à l’occasion de la parution du numéro spécial d’Opus international consacré à André Breton et au surréalisme international, mis en œuvre par Alain Jouffroy, voilà que surgit une notice signée de Robert Benayoun évoquant la trace fugueuse et fugace de l’ami Barbé pour nous apprendre que le Disparu est bien vivant, qu’il écrit toujours une œuvre inconnue sans souci d’une quelconque publication, à l’écart même d’une « présence » qui ne l’intéresse guère. Attitude suffisamment singulière dans notre époque pour qu’elle mérite d’être remarquée, puisque par ailleurs elle ne le sera guère.
Un autre beau jour, de mai 2015, un amical appel téléphonique de Jean-Claude Barbé m’annonce que ce blog — Poésie et peinture, l’impensé imaginable — a un lecteur pas du tout inconnu de son auteur, rompant ainsi un silence d’environ cinquante ans, ce qui n’est pas peu dans une vie.
Qu’importe, nous voici renouant par mails ou téléphone comme deux inconnus qui se connaissent sans trop savoir eux-mêmes qui ils sont pour eux-mêmes et pour l’autre.
Définitivement insituable le poète de Myriam Praline qui, en effet, n’a jamais paru ? On le dirait bien, tant l’individu est chaleureux et insaisissable, évident et mystérieux, rieur et tombé du ciel, mélange d’adorable gentillesse et d’impénétrable générosité. La vie est à prendre tout entière parce qu’elle est un songe pour l’homme et que rien ne doit être susceptible de les abîmer. Le plus beau vers que je lis sous sa plume, il me faut l’isoler dans le flux d’une prodigieuse vie mentale et sensible, je ne peux que lui écrire : « Quand on se met à te lire, le monde est comme sous l’effet d’une accalmie (J-Cl. B.), je crois que c’est vraiment l’impression la plus juste qui se puisse ressentir ».
Pierre Vandrepote
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Extrait d'un poème de Jean-Claude Barbé
« En général je ne donne pas de titre à mes poèmes (peut-être parce je me plais assez dans le discontinu). Peut-être que celui que je t'adresse ci-dessous en cherche un : "Le Chemin" par exemple. »
Le chemin revient sur ses pas
Il nous entraîne
On parle bas
Pour ne pas réveiller ceux qui dorment debout
Ils marchent avec nous
A nos côtés
Sous leur front se cachent des rêves
Dont plusieurs pourraient avoir honte
Si on les projetait sur un écran
Devant un public médusé
Il faut attendre les montagnes
Leur déplacement trop lent nous retarde
Personne n’est pressé
De mourir même après ne pas avoir vécu
Dans le coton ou dans la soie
On jouait à lancer des boules vers la lune
Aucune n’atteignait sa cible
La neige fond comme le souvenir
Du survol d’un pays dévasté par la guerre
Les routes saignent
La peau reste collée aux murs brûlants
La suie s’introduit dans les gorges
Nul n’entend ceux qui crient
Ils sont pourtant des milliers à se plaindre
On se sert de ciseaux pour rompre le silence
Mais sa corde ne cède pas
Privé de mains vouloir écrire
La langue arrachée prendre la parole
Aveuglé guetter une proie
Ces efforts ne mènent à rien
Le tunnel ne s’ouvre pas au bout du chemin
On use en vain ses piles
On baisse les yeux devant le soleil
Comme devant la croix
Quand un pécheur y est cloué
Nous n’avons jamais mordu d’autres joues
Que les nôtres par peur de dire des mensonges
Le souffle nous manquait
Pour déranger les eaux dormantes
Ou disperser les étoiles à l’ancre
Les montagnes restaient couchées
Aujourd’hui nous tenons à leurs pis par un fil
De lait dont s’empare un glaçon
Le ciel avare récidive
Au compte-gouttes les jours tombent
Dans la besace d’un nanti
J’ouvre les bras
Les volets grincent moins
Si ma fenêtre est une tombe
Dois-je faire abstraction du jour
Me diriger dans des ténèbres
Avec l’aide d’un ver luisant
Le ciel se boutonne à l’envers
On n’en finira pas de grimper sur l’échelle
Sociale si le but ressemble à la carotte
Dont tout âne est friand
Les anges me tendront la perche
Comme à la plus belle des femmes
Si je perds mes armes en route
Le vent s’écoute réciter
Ce qui ne s’apprend nulle part
La vie trop courte
Tricherait-elle avec la mort
La mort compte et recompte
On en profite
Chacun lui fausse compagnie
Les calculs sont longs les civilisations brèves
Peu à peu les montagnes perdent l’appétit
Et nous tournons en rond
Dans notre propre tête
L’enfer est à portée de voix
J’entends sa perceuse électrique
Je me vois lire dans les yeux
De la géante qui me met au monde
La peur de devoir nourrir un ingrat
Et des mots dont le sens m’échappe
Des mots trop vieux
Pour protéger leurs lettres
Du poumon de l’aspirateur
Et du maillet de l’abattoir
Le supplicié cède la place à ses envieux
Sur la roue d’un moulin qu’un torrent fait tourner
Si l’eau plaide coupable
Nous lui tordrons le cou
Comme à nos filles quand par caprice elles fautent
Le chemin nous contourne
On a beau le suivre il s’écarte
De son itinéraire et nous entraîne au loin
On se fie davantage à son flair qu’à la carte
Pour éviter les pièges
Tenter de vivre sans besoins
Jouir sans ameuter les voisins
Nous changerons de lit quand les draps nous noieront
De peau lorsque l’hiver éteindra ses bougies
Sans la chercher trouvons la plaie
Mal refermée dans laquelle on s’installe
On y vide ses malles
On la partage avec ses ennemis
Ainsi vaincu l’ennui franchit tous les obstacles
Et nous tuons dans l’œuf
Le projet d’aller voir ailleurs
Ceux qui naissent pour préparer leur agonie
Renaître
Mettre le nez à la fenêtre
Et se sentir pousser des ailes
Le ciel est encombré trop d’anges s’y bousculent
Gardez vos mots de bienvenue
Hôtes si haut placés
Nous coloniserons le paradis
Le règne des intrus
Durera moins longtemps
Que l’effort du mourant pour sortir du cancer
En y laissant ses plumes
Déjà quelqu’un nous chasse à coups de parapluie
Un robot comme on n’en fait plus
Obéissant à la nature
Il cherchait à se libérer
Des maîtres immergés dans un bain de formol
En doutez-vous fermez les yeux
Pour vous voir de plus près heurter le sol
Poussé par un jaloux du haut du mirador
Dans le vide et vers le trottoir
Où la chute est monnaie courante
Sous la vitrine d’un boucher
La cervelle a de quoi séduire
Mais sous un crâne fracassé
Quelle avanie
Craignons le pire
Lorsque nous empruntons l’escalier de secours
Au lieu d’arrêter un taxi
Ou de grimper sur le dos d’un passant
Pour traverser le fleuve
Les ponts d’autrefois restent sourds
Ceux d’aujourd’hui enjambent le néant
On s’agrippe au balcon
Comme à la barque quand les vagues cabriolent
Le passeur a perdu l’esprit
Sans pitié ses rames le moquent
Les passagers n’atteindront jamais l’autre rive
Sans le secours d’un parachute
Ou d’un fiacre en changeant d’époque
Le serpent dessine le fleuve
Il épouse tous ses méandres
Au printemps ce couple change de peau
Devant un public incrédule
D’enfants qui s’ennuient sur les berges
Malgré leur marelle et leur cerf-volant
L’amour ne me concerne pas
Je souffre peu de méconnaître ses vertus
Je me laisse bercer par les événements
Ils ont la consistance de l’eau calme
Quand le torrent finit en flaque
On se souvient mieux de son ombre
Que de soi-même
A trop presser l’éponge
L’océan change de quartier
Il se retrouve dans l’évier
Avec la vaisselle tremblante
Le toit tombe du toit sans entraîner ses tuiles
Nous aurons aujourd’hui du soleil à revendre
Si le Très-Haut s’invite
Notre table lui conviendra
Comme aux anges chassés du paradis nos draps
Le fleuve pose pour un peintre
Dont les doigts fondent dans la main
Ils ont un goût de chocolat
Le tableau représente un tigre
En train d’attendre un défilé
De tambours et de majorettes
Les rues et les couloirs sont trop beaux pour y vivre
On cherche une sortie dans sa ligne de chance
Le fils s’étrangle
A force de crier maman
Le vent vole au secours des poupées qui se plaignent
Il leur offre son bras pour traverser la vitre
Où les papillons voient des fleurs ce sont nos lèvres
Car les baisers attendrissent le verre
Comme le front modèle les nuages
La montagne l’estomac plein
S’endort sur ses chenilles
Les soldats la poussent en vain
On attend d’elle une chanson
Et qu’elle cesse avec ses sœurs bâchées de pondre
Jour après jour des montgolfières
Aucune ne s’élève
On les étouffe
Le voyageur les réinvente en rêve
Il survole les lits abandonnés dans l’herbe
La prairie que parcourt l’orchestre inoccupé
Le ruisseau apprend le solfège
Les portées sont pour les oiseaux
Quand leurs ailes leur font défaut
Quand ils ne comptent plus sur les voies aériennes
Où le trafic crée des tensions
Sans recteur y sévit l’averse
Chaque goutte étudie la désobéissance
On s’écrase sur les préaux
On illumine les trottoirs
L’eau produit autant d’étincelles
Qu’un nocturne au violon d’étoiles
La pluie n’épargne ni la lune ni l’éden
On la découvre sous ses doigts
Lorsque l’on joue d’un instrument
Inventé pour nuire à l’oreille des puissants
On veut leur place
On finirait par les défenestrer
Si l’on ne reconnaissait pas en eux
Des frères
Des malheureux aux pieds glacés
Ils mourraient au bord du chemin
Si le chemin perdait ses dents
Mais le vent veille il nous épaule
Il redonne du punch à nos désirs larvés
Nous mangeons la colline et nous lapons l’étang
Attablés sous le saule
Pleureur dont chaque larme inonde un nid d’insectes
La Terre se repose
Nous la ferons tourner si des voix nous l’ordonnent
Le pédalier servira-t-il
Nous hésitons devant le crime
Que chacun commet tous les jours
A l’instant où son réveil sonne
Quel que soit leur poids les poètes flottent
Comme des ballons gonflés à l’hélium
On les ramène au sol
En tirant sur la corde
Mais quand la corde casse ils sortent de la chambre
Forte et mendient de l’eau
Dans la paume de leurs mains mortes
Où sont écrits des numéros
Le numéro de téléphone du Très-Haut
Et de tous les gisants dont l’ennui crée des flaques
D’urine autour de leur tertre fleuri
On lit des noms et des noms et des noms
Le sien parmi tant d’autres
Passe occulté inaperçu
Du cœur comme aux yeux des apôtres
Qui chantent d’une voix enrouée nos vertus
Nous avions placé sur la nuque
Un second sourire édenté
On nous suivait pour en connaître
La douceur
Car la plupart des humains font la gueule
Pour des raisons qu’ils taisent
On regarde le ciel il se détourne il montre
Son derrière
On regarde la mer gaspiller sa salive
Et le sel alourdir les lèvres de la plaie
Le sommeil cajole nos os
Quant à notre peau elle éclate
Faisant si peu de cas de nos organes
Qu’ils sont en vente à quelques euros le kilo
Le prix de la chair reste bas
Celui des âmes monte
On les aime pour leur défaut
De savoir se rendre inutiles
Quand nous avons perdu le goût de nous survivre
Ou quand le soleil se replie
Avec toute sa paille
Les cheveux en bataille
L’or jeté à la pelle
On en ramassera jusque dans les poubelles
Puis l’on tendra les bras vers le nuage où gît
Nu un épouvantail
Notre effigie
Si dans la nasse naît un poisson frétillant
D’autres mots surgiront du cœur de l’océan
Nous ne sommes à court ni de cris ni de sang
Notre parole est mieux armée que le ciment
Et si nous n’avons rien à dire
D’important qu’importe il faudra
Le dire ou hurler sur les toits
La lune appartient aux poètes
(Extrait) Jean-Claude Barbé
Le 6 mai 2016, Alain Roussel a écrit: "Voilà bien un texte sur un authentique poète hors de tous sentiers, battus ou non".
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RépondreSupprimerUna nota importante sobre una figura elusiva de los últimos grupos de André Breton, en el blog de Pierre Vandrepote:
http://pierrevandrepote.blogspot.com.es/2016/05/jean-claude-barbe-laventure-inconnue.html