samedi 13 janvier 2024

Une saison pour Jean-Michel Goutier

 


        


 Des signes du grand large de Jean-Michel Goutier





GIOVANNA - illustration de couverture





Jean-Michel Goutier aurait bien aimé, me semble-t-il, traverser la vie, sa propre vie, comme une sorte de « printemps de l’indicatif » permanent, en écrivant sans écrire, en rêvant sans forcément fermer les yeux, en ouvrant les yeux sur le vertige d’être, oubliant de la réalité ce qui contraint le plus notre liberté d’être, ne cessant de ressentir l’espace informulé de l’air nouveau. Il est par excellence le poète des blessures secrètes :


« Devant la page envahie par les mots

La déception saigne, quelque part,

Derrière les barbelés

De l’écriture. »




L'intranquillité généreuse




























Le langage a-t-il été donné à l’être humain pour qu’il en fasse un usage « surréaliste » comme l’a écrit Breton, non sans humour et une part de provocation ? Quelle exacte nécessité peut correspondre à  la faculté de langage si tant est que cette faculté ait jamais été « donnée » à l’être par qui que ce soit, par quoi que ce soit ? Le langage est notre moyen privilégié d’exprimer le monde en nous tel que nous le percevons, tel qu’il s’inscrit dans notre désir de le connaître et de le reconnaître.


La confiance en les mots n’est pas ce qui caractérise la plus haute certitude dans les réflexions éparses de Jean-Michel Goutier. Pourvu d’une forte conscience poétique des choses et des mots, il ne se laisse guère abuser par les facilités chères à tant de poètes qui veulent surtout éblouir leurs lecteurs par des artifices de pacotille. Dans le « surréalisme poétique » que définissait l’auteur des Manifestes, ce que Jean-Michel a recherché, c’est surtout une sorte de vérité globale de l’expérience humaine, un noyau de résistance qui serait inaliénable dans l’espace de l’imaginaire aussi bien que dans celui de la réalité immédiate. Il s’en amuse avec une légèreté bienvenue lorsqu’il écrit: « Mallarmé dans la peau d’un montreur d’ours, Mallarmé dans une peau d’ours montrant des mots est une image qui n’est pas pour me déplaire, je l’enferme dans une goutte d’eau et je jongle avec elle. »


Que pouvons-nous savoir du silence ou des bruissements infinis du monde, des univers dont nous n’avons pas la moindre idée des confins. Nos langages sont à la dimension de ce que nous savons, de ce que nous ignorons, de ce que nous ne percevrons sans doute jamais. Le temps est peut-être infiniment moins présent que ne voudrait nous le faire croire un indicatif quelque peu déboussolé depuis que nous avons tenté d’alunir sur autre chose que nos rêves.





illustration de Gilles Ghez






Comme chacun, je lis à ma façon ces mots de Jean-Michel semés sur une page de hasard : 


« Océan

Encrier de perplexité


Tasse 

Légendaire »


                                                                        Pierre Vandrepote