André Breton LETTRES À SIMONE KAHN 1920-1960
Gallimard éditeur
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Jeudi 29 juillet, soir (1920)
(…) « Comme si notre mal ne venait pas de ce que nous nous sentons prisonniers entre la terre et le ciel. Architecture. »(…)
Cette lettre vient de commencer par l’affirmation « Le mot exil n’a pas grand sens pour moi. »
Serions-nous exilés partout ? Prisonniers de notre propre architecture intérieure ?
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Mardi 31 août 1920
« Je suis trop sensible, aussi, à cette vie sourde de la forêt, une des rares choses qui me font souvenir d’une existence antérieure. »
Idée ou sensation assez rare chez Breton pour qu’elle mérite d’être signalée. Une sorte d’antériorité intérieure ?
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Dimanche 5 septembre 1920
« L’impatience est l’art d’espérer. »
Le temps, toujours le temps. Rien de plus désespérant que le temps.
Et dans la même :
« Il y a aussi quelque chose de grave, d’inouï qui me parle à travers vous. »
La révélation, concrète, celle qui ne peut venir que des yeux de la bouche, et du cœur.
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Mercredi [Jeudi] 16 septembre 11 h
« Je chercherais longtemps à m’expliquer comment des yeux, une main peuvent concentrer [en] une minute tout ce qui vous a arrêté dans l’univers. »
Breton ne se sent plus capable que de songer « à la toute-puissance de tels talismans ». Interdit, changé tel qu’en lui-même.
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Mardi 28 septembre 1920
« Je sais que tout s’éclaircira un jour, je ne veux plus trouver la solution de certains problèmes qu’en dormant. »
Éclaircir le jour, éclaircir la nuit, la solution soluble dans l’époque des sommeils dont on ne sait s’ils dorment vraiment.
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Dimanche 24 octobre 1920
« Tout de même je n’appartiendrai jamais entier à l’action. »
Appartenir ? S’appartenir ? Tenir à part sa propre appartenance, n’être que le tenancier de ce qui, en soi, est à part. Rêver l’action entière. Agir entièrement, est-ce noir ?
Et ceci encore, dans la même :
« Vous savez que je suis de ceux qui, de la guerre, par exemple, ont été incapables de comprendre autre chose que cette espèce de divertissement forain. C’est très mal, n’est-ce pas, ce que je dis là ? — Très mal. »
Noir, oui, décidément.
Simone Kahn-Breton |
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Mardi 25 juillet 1922
« … je n’ai encore pour l’instant aucun moyen d’écrire. Plus cela va, plus cette complexion singulière s’accuse : est-ce chez moi le goût du commandement qui l’emporte, il me semble toujours qu’en écrivant je ne fais qu’exécuter un ordre, ce qui serait indigne, en effet. »
À quel ordre Breton répond-il lorsqu’il écrit ? Qui est le donneur d’ordre ? De quoi est faite la désobéissance ? Déserter jusqu’aux déserts eux-mêmes ? Les grains du sable ne sont guère coopératifs. Sinon avec le vent.
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Samedi 7 février 1925
« Qui sait si la Liberté est bien la fin dernière ? Je ne vois ce soir qu’un grand remous, que l’idée même de la liberté n’éclaire pas. Il doit y avoir quelque chose d’immense qui nous échappe. »
Voici que Breton se met à rêver tout haut (ou tout bas) sa "Défense de l’infini"...
Oui, c’est immense. Oui, ce n’est pas à nous. Ni aux dieux. Adieu.
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25 février 1925
« Le pessimisme me sauve et me sauvera longtemps. »
Aller au fond de tout, voilà ce qu’il faudrait. Au fond du désespoir, de la grandeur, de l’égoïsme, du mal, de l’immoralité, du terrible. De la jalousie, de l’amour. En extraire la beauté, ou la perle de la folie.
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Marseille, le 5 avril 1926
« Je sais pourquoi je ne fais pas un meilleur révolutionnaire. C’est parce que j’ai peur de la prison. En prison je mourrais. »
J’aime cette audace chez Breton de dire une chose aussi simple, sans fausse honte. Quel poète saurait dédaigneusement confesser une si noble peur ?
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Paris, le 29 juillet 1927
« Je m’ennuie tant, je voudrais que les gens aient des langues de feu. »
Pour brûler l’ennui de vivre et de ne pas vivre, pour prononcer certains mots comme des coups de feu. Partir dans les mots, comme si c’était sans retour.
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Mardi 9 août 1927, 9 h soir
« Ce n’est pas seulement l’humain qu’il faut atteindre et que si peu atteignent, c’est le vital. »
Fatale condamnation du « littéraire », de l’effet romanesque. Non pas peindre l’histoire, mais saisir le souffle, au plus près de sa naissance.
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Paris, le 8 octobre 1928
« Il n’y a pas, il n’y aura jamais de liberté dans l’amour. »
Et encore, dans la même :
« Je veux la vérité absolue dans la vie. »
André Breton |
(Lecture-montage de Pierre Vandrepote)
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