Voyage (1) |
Portrait à grands traits
ou
Un camping-car dans le désert
Contrairement à certaines apparences, je ne suis pas un homme du jour, mais bien plutôt un homme de la nuit.
Les « images en mots » surgissent la nuit et disparaissent très vite.
Inversement ou presque, je suis à la fois du côté de la vie et du côté de la mort. Ou plutôt je ne peux guère dissocier l’une de l’autre. Tout ce qui vit meurt. Tout ce qui incarne l’existence finit par disparaître, mais ce mouvement, cette tendance se reproduisent, dirait-on, comme à l’infini.
La vie ne s’oppose plus à la mort à partir du moment où on est emporté par l’amour qui est fait du désir et de sa réalisation.
Dans la solitude, on ne peut pas aimer.
L’écriture entretient chez moi une sorte de blessure du cœur. Elle me maintient dans un état singulier d’échec, de plaisir et de douleur.
L’être humain est fait pour le bonheur absolu, pour l’inaccessible.
Je suis d’abord et avant tout une sensation.
La littérature est un consolamentum.
J’affirme les deux propositions qui précèdent d’une façon abrupte parce que je les espère secrètement fausses.
L’être humain devrait pouvoir cesser de se haïr. Mais je ne crois pas qu’il en prenne le chemin.
La satisfaction de soi signe l’étroitesse de nos perceptions.
Le hasard est plus inspiré que l’esprit du prétendu poète.
Ce qui nous tient en vie, c’est l’inaccessible interprétation de la beauté. Tout ce qui a un peu de grandeur rapidement nous confond.
L’homme admire la force, c’est pourtant sa faiblesse qui émeut.
Chaque exemplaire de l’être humain est unique. Chacun aspire à une vérité, à une justesse de l’être qui ne lui appartient pas.
L’errance est notre territoire. Nous avons une langue qui ressemble à un pays. Nous ne connaissons pas la langue humaine.
Pourtant tout individu est un monde qui rêve d’un autre monde.
Quand je regarde ma bibliothèque, ou celle d’un ami, je me dis que tous ces livres parlent beaucoup du silence.
Je n’ai qu’une croyance médiocre en la réalité, je me méfie de ma croyance en l’homme. Néanmoins ce que j’aime est sacré.
Que dirait une île à son homme seul ?
Puisqu’il faut mourir, autant mourir d’aimer. C’est certainement la plus belle, la plus terrible, la plus douce des morts.
Le désespoir n’est que désespérance. Il ne sert rigoureusement à rien au manque à vivre de l’esprit humain.
C’est l’espoir qui fait vivre. Les pensées qui font rêver les peuples sont infiniment plus justes que celles qui font ronronner les élites.
La politique conduit à l’incapacité permanente. Ses ressorts sont ceux de l’indigence du tempérament humain.
Infailliblement la politique a pour aboutissement la guerre.
La guerre est la triste danse de la paix.
La jolie rousse, est-ce la guerre, est-ce la paix ?
On dit que les poètes chantent. Heureusement on ne les entend guère.
Nous avons besoin d’une autre terre sur la terre.
Nous vivons dans les marges du bonheur, la plupart d’entre nous ne sont même pas fichus de s’en apercevoir.
Le pire serait pour l’homme de se prendre pour un dieu qui n’existe pas.
La femme est l’avenir de l’homme. Espérons qu’il n’est pas son passé. (Au train où ça va, il faudra bientôt changer de ligne.)
Si on déboulonne toutes les statues, c’est mon ami Jacques Abeille qui ne sera pas content.
Je crois très profondément que nos mots n’ont pas beaucoup d’importance. Je crois très profondément que notre présence n’a pas beaucoup d’importance. Enfin, je crois croire que.
voyage (2) |
Je voudrais rêver, encore rêver avec toi.
Si demain je ne suis plus là, quelque chose me manquera. Une illusion, peut-être ?
De l’autre côté du miroir, il y avait plein de visages que je ne connaissais pas.
Je pratique un art involontaire, celui de passer à côté de ce qui me concerne. Je ne me connais pas. Comment pourrais-je me reconnaître ?
Mes questions sont celles d’un enfant.
Quand on joue, on peut perdre ou gagner, cela n’a aucune importance.
Quand je serai grand, je serai sans doute encore plus petit.
Je vais au cinéma pour découvrir la vie. Le métier le plus bête : critique de cinéma. Un métier de non-rêveur.
Une phrase n’en vaut pas une autre.
Il entendit la mer pour la dernière fois.
Il écrivait sans cesser de se taire. Il ne disait absolument rien.
Écrire, c’est fuir avec ses plumes. Puis disparaître au coin du ciel.
La nuit tombe sous le gong du silence.
De temps en temps, il se rendait sur sa propre tombe, non sans une certaine hésitation. Il faut se méfier de l’humour, ça ne mène nulle part.
La postérité rend jaloux. Pourquoi être toujours derrière ?
Comment partir pour la cordillère des Andes ? J’aimerais bien partir à Bogota pour aller voir des chinchillas et des condors.
Comme on est naïf avec les cartes de géographie.
Pourtant il entendit à nouveau la mer.
Il n’était pas sorti de chez lui depuis 219 jours. C’était son record.
Il y a une certaine irritation du poignet qui pousse à écrire. Puis ça passe.
Même la température a ses limites.
Les plus belles filles du monde prennent toujours l’avion. Et moi je reste là à me demander pourquoi.
Il avait l’impression d’avoir bien travaillé. Un instant il fut heureux comme il ne l’avait pas été depuis longtemps.
Ses impressions réelles étaient de courte durée. Croire au temps, voilà qui nous perd.
Pardi ! Chacun voudrait vivre au paradis.
Pas de jardin, pas de maison. Des routes incertaines. Des croisements, des allers, des retours même. Un camping-car dans le désert.
Des paysages à découvrir, qu’on porte en soi. Toutes ces vies qu’on n’aura pas vécues. Une rivière dont on suivrait le cours, comme un animal qui n’a pas envie de traverser.
Rien n’est sans doute jamais complètement perdu. Je me souviens d’un jour à la campagne, seul, je devais avoir dans les huit ans, je me demandais ce que c’est que la vie. Je marchais sur un petit bout de route asphalté, tournant le dos au village. Je crois que je cherchais quelqu’un qui aurait éprouvé la même sensation, celle de la solitude à huit ans, en bout de route sans village.
voyage (3) |
Est-ce qu’on peut tout reprendre, tout recommencer, à n’importe quel moment ? C’est celui qui le lit qui répond. Moi je pense qu’on ne peut pas tout recommencer, que simplement j’aurais voulu aller plus loin dans mes tentations de vivre. A chacun ses territoires impossibles. Il n’y a pas de fin, ni début ni fin. Je ne crois pas qu’il y ait nécessité de quoi que ce soit.
Mais il y a des choses qui courent derrière des esprits.
Le mystère est total, la nuit est bleue.
Mes affirmations sont plus fines que moi. Elles me bluffent.
On écrit pour autre chose, mais on ne sait pas pourquoi. En tout cas, moi j’écris sans aucun savoir. D’ailleurs je n’ai pas de savoir écrire.
Souvent l’humour me fait rire sur le coup, je sais alors que la zone de déception est proche. Aurais-je l’humour triste ?
Vit-on si on est incapable de ressentir tout ce qu’un être peut ressentir ?
La modestie est une très curieuse qualité et, sans doute, un vilain défaut.
J’ai l’impression que ce « portrait » tourne au vinaigre. L’impression est mauvaise. C’est toujours la même chose, se trouver, puis se perdre. Un jour de brume, que le soleil finira bien par percer.
Vivre comblé, vivre au contraire dans le dénuement. Bizarrement, on dirait que ces contraires s’attirent alors qu’ils semblent vouloir dire la même chose. Un sentiment unique de la vie serait ainsi désigné.
Une prose condensée à la manière du poème.
J’écris, ou je n’écris pas, en fait ce n’est pas le plus important, ce n’est à chaque fois que la moitié de mon visage, la moitié du voyage. Quelquefois j’écris, parce que je cherche à oublier. Il n’y a que dans l’amour qu’on ne se préoccupe plus de l’oubli. Seulement dans l’amour.
Faudra-t-il se taire une fois pour toutes, je veux dire au cours même de la vie ?
Le ciel est gris comme est grise l’existence. Le gris est la couleur la plus profonde, la plus lyrique de la poésie. La couleur de l’inachèvement. Tout à coup je me pose la question : qu’est-ce que ça veut dire écrire un poème ? Peut-être étendre la vie jusqu’à un point de non-retour. Ou, plus simplement, comme le dit le titre d’un livre posé ici par hasard sur l’art de communiquer chez les oiseaux, « Chants, cris, plumes et danses ». Poésie rituelle, gutturale et automatique.
Chanter un chant qui ne cesse de disparaître, qui revient avec l’écho de la nuit.
Curieusement le gitan c’est celui qui n’aura jamais de gîte.
On dirait que j’écris de façon testamentaire. Cherchez le mort, il est partout, nulle part.
Jamais on ne s’est interrogé autant à l’aveugle que maintenant. Aurions-nous franchi le miroir sans même nous en rendre compte ?
L’idée de création devient chaque jour plus obsolète. Plus l’homme est impuissant face à son propre destin, plus l’idée de grandeur lui tourne la tête.
Peut-on nommer ce qui ne saurait l’être ? C’est pourtant ce que nous ne cessons de tenter. Le désert croît. Quoi qu’en disent les poètes, les nuages sont toujours aussi inhabitables.
L’être n’a jamais vraiment douté du néant. Pourtant l’un n’est peut-être pas plus « vrai » que l’autre.
« Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie. » écrivait jadis Valéry. Quarante ans plus tard, Alain Bosquet lui répondait comme en écho : « Je m’habite à distance ». Curieuse prudence, persistante, chez les poètes à l’égard d’un « moi » si hypothétique alors qu’il aveugle les psychologies modernes de l’inconscient.
L’amusante illusoire originalité.
Tous semblables et si dissemblables, tous ce rêve d’être, de coïncider, de partir, de rencontrer, de disparaître. Nous construisons tant d’illusions pour nous protéger, pourtant nous sommes toujours aussi nus et désemparés.
N’oublie pas de chercher, c’est la seule occupation qui soit un peu digne. Il n’y a rien à perdre, rien à trouver. Passe à travers le temps comme s’il n’était qu’un souffle aveugle.
À l’autre bout de la terre, en même temps que toi, un homme écrit. Il est heureux de te savoir là, dans l’ombre. Il pleut des mots dans sa vie comme dans la tienne. On est seuls d’un bout à l’autre de la terre.
Liberté - Diversité - Partage
Liberté, fondement de toute morale
Diversité, irréductible beauté du monde
Partage, engageant notre relation à la totalité du vivant et de l’inanimé
Une solitude solaire, hors sol.
Cessez de vouloir organiser mon bonheur, cessez même de vouloir organiser le vôtre, écoutez le bonheur indifférencié du monde. Même si nous avons tant d’occasions de le perdre de vue, souvenons-nous que le bonheur existe.
Écoutez les dieux attentifs, et même les autres.
Je ne sais rien, ce n’est pas très important. Qui sait ? Est-ce qu’on peut vraiment dire qu’on apprend à vivre ? Sûr pourtant que nous apprendrons l’art de mourir.
Il est 17 h.35. C’est déjà faux. Pour toujours.
Ne croyons jamais complètement ce qu’on nous dit. Ne rompons pas le poème de l’hésitation.
Il se mit à marcher le long d’une grande plage de silence. Même le bruit de ses pas avait disparu. Il avait l’impression d’être celui qui n’était pas encore venu.
Depuis tant d’années, je me suis promis d’écrire au moins une phrase par jour. Je ne l’ai jamais fait. C’est bien moi, ce genre de renoncement inconscient. C’était peut-être mieux ainsi. On écrit toujours beaucoup trop.
Lorsque nous écrivons, quel grand silence dans le public ! À croire que personne n’entend (rires).
Qu’avons-nous à dire que l’autre ne sache déjà ? Qu’ai-je appris, moi, aujourd’hui ? J’aurais aimé fonder un journal qui ne serait porteur d’aucune nouvelle.
Aurai-je encore envie de penser la même chose dans cinq minutes ?
La vie, sa vie ressemblait si peu à celle qu’il aurait aimé vivre qu’il avait l’impression d’être mort depuis longtemps déjà.
Saurais-je jamais vraiment aller jusqu’au bout d’un projet qui n’en a pas, qui se cabre devant l’idée d’une action théâtrale ?
En quoi pourrait-on croire qui serait un peu davantage qu’un pari, un peu moins qu’un pressentiment ?
Les mots essentiels n’appartiennent pas forcément à la langue.
Très souvent j’entre ailleurs qu’en moi. Assez souvent je sors sans savoir où aller.
Écrire est une activité qui ne consiste pas en une sorte de communication à distance avec des gens qu’on ne connaît pas et qui ont bien autre chose à faire. Qu’on écrive ou non, en fait, n’a rigoureusement aucune importance. C’est passer à travers les mailles du filet, laisser une trace difficile à repérer, aimer une figure sans visage.
Il s’était promis de rêver sur dix pages. Cela demande beaucoup plus de temps qu’on ne croit. Peut-être des années, peut-être des secondes.
Une fois qu’on a commencé il faut bien continuer. Même et justement parce qu’il n’y a pas d’obligation. La poésie est une jolie question posée à un naïf. Personne ne saura jamais si la terre n’était qu’une illusion.
voyage (4) |
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Un poème à tâtons dans le discernement du ciel
Clair de terre
Clair de femme
Clair de nuit
Clair de vie
Clair d’ombre
de crépuscule du matin
de lueur entre les mots
Clair étincelle
Clair du long silence
Clair du centre de la nuit
Clair encore de la trace du néant
Clair de mort
Clair d’invisible
Clair de nuage
Clair comme la chair
Clair comme la disparition
comme une fuite dans le réseau du temps
comme l’impossible à portée d’œil
Clair comme le rêve
comme la pluie entre les gouttes
Clair comme l’imperceptible
couleur des yeux
Clair comme le début et la fin
comme la prière des dieux
cherchant l’homme dans l’obscurité
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J’écris ceci pour oublier, pour m’oublier, pour être oublié.
J’écris ceci pour croiser un chemin que je ne connaissais pas.
J’écris ceci pour me rassembler en vous.
La poésie est là, il suffit d’ouvrir la main.
Si tu tombes, un autre se relève. Si tu continues, attends dans l’ombre.
Je voudrais qu’il y ait encore du rêve au coin de tes yeux. Ne les ouvre pas, ni ne les ferme. Ne pleure pas les larmes du bonheur.
L’histoire de l’humain est si courte, ou si longue, comme tu voudras. Demain s’appelle peut-être l’aurore.
Fais ce que tu veux, chante ou ris, traverse la rue comme le ciel,
ne suis aucun chemin tracé, efface tous les chemins, reste à l’ombre de ton arbre ou pars avec celle qui ne t’attendait pas, pars sans toi, entre dans le rêve d’un autre, toute vie ressemble à une poésie inconnue.